Tribune du Club des penseurs Aviv-SeLoger : « Comment relancer à coût zéro la machine du logement ? »

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Une demande et des transactions au ralenti, une raréfaction de l’offre locative, un volume de construction en chute, et des Français qui peinent à se loger dans un marché verrouillé de toute part… Face à ce contexte, le Club des penseurs Aviv-SeLoger rassemble et ouvre un espace de dialogue pour porter la voix de l’industrie immobilière via des solutions concrètes, à coût zéro, engageant une réflexion globale fine et une vision à long terme, plus que jamais nécessaires pour sortir le logement du marasme. Le point avec son David Lacroix, président de Maisons Berval et du Pôle Habitat FFB d’Ile-de-France et grand penseur à l’initiative du débat.

Quel est votre regard sur la situation actuelle en matière de politique du logement ?

DL : Les raisons de cette crise sont multiples et profondément ancrées à la fois. Il ne suffit plus de prendre quelques mesures d’urgence à la volée au gré des changements de gouvernement et de ministres. Et l’arrivée de Guillaume Kasbarian, cinquième ministre délégué au Logement sous la présidence Macron, ne changera rien au paysage si le gouvernement ne fait pas de cette filière une priorité absolue. Pour sortir enfin du tunnel, il est indispensable de changer de paradigme et de repenser l’industrie du logement, à la manière dont on conçoit un bâti : on peut changer les volets d’une maison, réaménager ses espaces, repeindre les murs, mais si les fondations et le gros-œuvre sont impactés, apporter ces modifications revient à donner un coup d’épée dans l’eau. Un peu à l’image de ce turn-over constant de ministres, incompatible avec une vision globale et à plus long terme du logement qui, rappelons-le, est un véritable poids-lourd des recettes fiscales en France, avec quelque 97 milliards d’euros versés à l’État en 2022.

Que préconisez-vous pour redonner sa place au logement en tant qu’industrie ?

Le logement doit être repensé en profondeur et inscrit dans le dur via la création d’une institution pérenne avec un vrai rôle de conseil, un plan d’organisation pluriannuel d’une durée couvrant a minima deux mandatures, soit au moins 10 ans, qui permette de mener des projets sur le terme indépendamment des flux et reflux ministériels. Autrement dit, une institution capable de prendre de la hauteur et de gérer les temps longs, face aux actions du gouvernement qui, elles, sont plus fugaces et s’inscrivent davantage dans une vision étroite de dépenses publiques que dans une dynamique d’investissement et de rentabilité. Et le souci qui en découle, c’est que le budget affecté au logement ne cesse de se réduire comme peau de chagrin, parce que d’autres budgets sont devenus prioritaires. Donc l’idée première serait de changer de regard sur cette filière, en commençant par considérer ce qu’elle est réellement : une industrie franco-française à forte valeur ajoutée qui, certes, a un coût, mais qui contribue à la création constante d’emploi, génère d’importantes recettes fiscales et qui répond aux besoins essentiels de la population. Il nous semble donc indispensable de redonner sa place au logement en tant qu’industrie de premier ordre, afin de répondre efficacement et durablement à la crise du logement.

Le thème du débat qui vous a réunis fin janvier était « Comment relancer à coût zéro la machine du logement ? ». Est-ce à dire qu’il est possible de faire bouger les lignes sans mettre de l’argent sur la table ?

Absolument. C’est d’ailleurs là notre démarche : faire des propositions pragmatiques et faciles à mettre en œuvre avec peu ou pas de dépenses à la clé pour relancer le secteur. Si l’on regarde les chiffres catastrophiques de la construction, avec une chute historique de l’ordre de 30 % des permis de construire en 2023 et une baisse inquiétante des mises en chantier, en recul de 24,6 % en un an à fin janvier 2024, il est urgent de mettre en place des mesures efficaces et peu ou pas onéreuses pour renverser la vapeur. À ce titre, nos propositions, en accord pour certaines avec celles émises par la Fédération française du bâtiment (FFB), portent notamment sur nombre d’actions précises permettant de trancher le nœud gordien de l’excès de règles et procédures, par trop rigides, pour relancer la construction. Par exemple, il faut savoir que les PLU sont soumis à des normes différentes d’une mairie à l’autre et que certaines contreviennent à la possibilité de densifier les villes et secteurs là où le logement fait cruellement défaut.

Quelles sont vos propositions phares pour libérer rapidement la construction ?

Pour ne citer que les plus urgentes et simples à mettre en œuvre (et qui ne coûtent rien !) :

Mettre en place une commission de médiation au sein des préfectures régionales pour débloquer les demandes de permis de construire refusées, et notamment celles qui ont été déposées en zone dense et qui sont conformes au PLU.
Simplifier et accélérer le traitement des contentieux, afin de contraindre, voire empêcher les recours fallacieux qui font obstacle aux projets de construction, en réduisant notamment les délais relatifs aux recours et aux retraits des autorisations d’urbanisme à un maximum de 6 mois.
Augmenter de deux ans la validité des permis de construire pour soutenir la construction, compte tenu notamment des difficultés d’accès au crédit des particuliers qui peuvent en retarder la mise en œuvre dans les délais impartis faute de financement à date.
Simplifier les dossiers de demande de permis de construire et accélérer leur instruction en généralisant la dématérialisation. À noter que l’obtention d’un permis de construire prend aujourd’hui environ 7 à 8 mois, l’idéal serait de réduire ce délai à 3 mois, ce qui permettrait aux constructeurs d’être sur un pied d’égalité par rapport à un achat dans l’ancien et d’encourager l’achat dans le neuf.

Quels leviers actionner pour maîtriser les coûts du foncier et encourager la construction ?

Déjà, il faudrait commencer par endiguer au plus vite la flambée des coûts liés à la construction à l’œuvre depuis 2021 et dont les causes sont bien connues – contexte géopolitique instable, inflation galopante, montée en flèche des coûts de production des matériaux de plus de 30 %, surcoûts de l’ordre de 5 % générés par l’entrée en vigueur de la RE2020… Or, si par définition nous ne pouvons pas agir sur la conjoncture économique, on peut en revanche appeler de tous nos vœux une pause normative au niveau de la réglementation environnementale. Prévus dès 2027 et 2030, les prochains jalons et leur lot d’exigences renforcées en matière de normes de construction vont générer de nouveaux surcoûts de 8 % en 2030 et de 15 % après 2030. Le constat est sans appel dans le contexte actuel : même si elle est nécessaire, la RE2020 est déjà suffisamment exigeante et se situe bien au-dessus de la ligne de flottaison par rapport aux réglementations d’autres pays européens. Donc retarder les prochaines échéances permettrait de ne pas saler davantage la note liée aux nouvelles normes face à un secteur à bout de souffle.
À noter également que le constructeur s’est particulièrement investi dans la construction de maisons, répondant aux normes successives, la RE2020 étant la plus récente, et tout cela dans le contrat du CCMI loi de 1990. Le contexte a évolué, et de nombreux constructeurs s’investissent, avec la même passion et qualité, dans la rénovation. Pourquoi ne pas mettre en place, à l’instar du CCMI, un contrat cadre de rénovation globale, offrant également des garanties sérieuses à nos clients ? Cela me semble opportun !

Comment favoriser la densification du bâti existant ?

Si on prend la question de la densification – nécessaire dans les zones où la demande explose –, là encore, les freins législatifs et réglementaires sont trop nombreux et mettent clairement les bâtons dans les roues des constructeurs et promoteurs pour développer leur offre. De nombreuses PLU(i) dérogent à la logique et aux objectifs de densification et de sobriété foncière portés par la ZAN (zéro artificialisation nette des sols), une mesure phare de la loi Climat et Résilience. A titre d’exemple, certaines villes interdisent de créer des lots arrières via la revente d’une partie de terrains privés, alors que ce type de démarche foncière – décrite par la pratique du « Bimby » pour Build in my backyard, qui consiste à diviser sa parcelle pour en vendre une partie – contribuerait à libérer du foncier et, donc, au renouvellement urbain. Idem par rapport au coefficient d’emprise au sol (CES) maximal que nous préconisons d’encadrer pour favoriser, plutôt que limiter, la densification de logements individuels sur des terrains déjà artificialisés.

Quid de la surélévation dans le cadre de la densification douce ?

Que ce soit pour l’habitat collectif ou les maisons individuelles, les surélévations sont largement préconisées en milieu urbain, là où c’est pertinent d’ajouter des étages pour accueillir de nouveaux habitants, c’est-à-dire sur des immeubles bas pour ne pas dénaturer l’environnement et, surtout, dans des secteurs déjà dotés de commerces, de transports et autres commodités. Ces opérations, qui ne modifient pas l’emprise au sol, cumulent nombre d’atouts, à commencer par répondre au besoin en logement à moindre coût, puisque la structure est là et le foncier, déjà acquis. Mais sur ce point, en marge des contraintes fonctionnelles, les freins sont davantage du côté de l’opinion et de certains élus récalcitrants qui inscrivent des règles contraires. C’est pourquoi il devient urgent de faire davantage de pédagogie autour de l’intérêt (et impératif) que représentent la densification et la surélévation en tant que mises en œuvre concrètes des objectifs du zéro artificialisation.

En marge de la construction, la crise est aussi celle de la demande… Comment redonner du pouvoir aux ménages pour faciliter l’accession et insuffler une nouvelle dynamique au marché immobilier ?

Face à la remontée brutale des taux et aux restrictions bancaires, les pistes d’action et les recommandations se sont multipliées ces dernières semaines pour moduler le crédit immobilier et le libérer des réserves excessives imposées par le HCSF. Alors, bien sûr, on ressort du chapeau des solutions anciennes comme le prêt in fine, le prêt hypothécaire ou la portabilité et la transférabilité des prêts pour proposer des alternatives et enrayer la crise de l’immobilier. L’idée n’est pas mauvaise, mais ce n’est pas suffisant, surtout pour les primo-accédants. Là encore, on manque cruellement de « créativité » de la part des banques, qu’on entend peu finalement au sujet de cette crise. Car il en va aussi de leur responsabilité et de leur intérêt de faire preuve d’ingéniosité pour proposer de nouvelles formules de financement adaptées au contexte actuel. Par ailleurs, considérant le logement comme une authentique industrie, il manque aujourd’hui une banque spécialisée qui soit proche des professionnels de l’immobilier, qui connaisse parfaitement les problématiques du secteur, les opérations de promotion, de construction, les transactions dans l’ancien… À l’époque, le Crédit Foncier a incarné ses valeurs, mais aujourd’hui sa place est restée vacante…

Pour revenir aux fondamentaux, en quoi une vision et une action globales sont de mise pour relancer la filière ?

Dans ce vaste secteur qu’est le logement, chacun contribue au projet de l’autre. Il faut donc avoir une vision globale, une réflexion globale, une action coordonnée qui prenne en compte chaque maillon de la chaîne, pour permettre aux ménages d’avancer concrètement dans leur parcours résidentiel. Si on prend le logement social, il est saturé, les revenus (très) modestes empêchent d’en sortir. Mais si on considérait dès le départ qu’une petite partie du loyer soit consacrée à l’accession, par exemple grâce à une sorte de clause multiligne inscrite dans le statut du logement social, avec une ligne pour le loyer et une autre pour la capitalisation, cela permettrait de créer un vrai levier pour accéder à la propriété à terme. La personne qui parvient à sortir du dédale du logement social pour acheter un bien c’est, au bout du compte, une transaction de plus dans l’ancien ou dans la construction d’une maison neuve. Et à partir du moment où on débloque un maillon, c’est un autre logement qui se libère pour ceux qui en ont besoin et qui, plus tard, pourront à leur tour franchir le pas de la propriété, contribuer à relancer la demande et, plus globalement, à la dynamique du marché immobilier.

Retrouvez la tribune restituant les 9 pistes pour relancer la machine immobilière à coût zéro sur le Journal de l’agence, partenaire du Club des Penseurs

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