Particulièrement concerné par la problématique des travailleurs détachés, le secteur du bâtiment accueille sévèrement le décret du 5 mai qui, dans le cadre de la loi El Khomri, renforce les obligations en matière de contrôle. La fédération des promoteurs immobiliers dénonce notamment l’augmentation de la responsabilité des maîtres d’ouvrage dans la lutte contre la fraude dans ce domaine. Quelques explications…
Travail détaché, qu’est-ce donc ?
Une directive européenne du 16 décembre 1996 a instauré le statut de travailleur détaché. Celui-ci permet à un ressortissant travaillant dans un État membre de l’Union européenne d’être détaché pour travailler dans un autre État membre. Cette directive initie de fait une exception en matière de droit international privé qui prévoit normalement que les clauses du contrat de travail doivent être dictées par la législation du pays d’exercice. Très simplement, à titre d’exemple, les conditions professionnelles d’un travailleur détaché polonais exerçant à Paris doivent respecter la législation française (salaire minimal, congés payés, sécurité…), mais les cotisations salariales de l’entreprise polonaise qui détache ce salarié sont versées en Pologne. Si la durée maximale de détachement est fixée à 24 mois, la directive européenne ne prescrit qu’une période de 2 mois entre deux détachements.
Un dumping social institutionnalisé
Prévu pour compenser les manques de main-d’œuvre qualifiée dans certains pays de l’Union européenne, le statut de travailleur détaché est depuis quelques années très utilisé dans le secteur de la construction, notamment pour les activités les moins qualifiées. Cette directive européenne est depuis son entrée en vigueur mise à l’index pour ses effets pervers sur le marché du travail : en mettant en concurrence les coûts du travail au sein de l’Union européenne, elle conduit à une forme institutionnalisée de dumping social. Soumises à la pression de leurs clients qui exigent un prix au m² toujours plus bas, les entreprises du bâtiment sont tentées de recourir aux travailleurs détachés au détriment des nationaux. Dès 2013, un rapport parlementaire identifiait différentes fraudes autour du travail détaché : non-déclaration des salariés, non-application des règles en matière de salaire, de temps de travail et de congés, création de sociétés fantômes utilisées uniquement pour valider le détachement, etc.
Un sujet de la campagne
Au cours de la campagne présidentielle 2016-2017, le sujet des travailleurs détachés a été largement abordé par tous les candidats. Dans un contexte de chômage élevé, la population admet de moins en moins de voir les entreprises françaises faire appel à des travailleurs étrangers sur leurs chantiers. Le gouvernement Valls et quasiment tous les candidats à la magistrature suprême ont affirmé leur intention de renégocier cette directive voire de ne plus l’appliquer. Seul contre tous le candidat Macron, devenu président depuis, a défendu la directive européenne controversée. Il a notamment déclaré au cours de la campagne que le cœur du problème se situait non sur le fond mais sur le manque de contrôle entourant l’application de cette directive européenne.
Le décret du 5 mai 2017
48 h seulement avant le second tour de l’élection présidentielle et la fin du quinquennat Hollande paraissait au Journal officiel le décret du 5 mai 2017 renforçant les obligations de contrôle des maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordres. À partir du 1er juillet prochain, ces derniers seront tenus de vérifier qu’aucun travailleur détaché n’est employé illégalement sur leurs chantiers et ce à tous les niveaux – y compris des sous-traitants. Le décret prévoit aussi une obligation d’information sur le droit du travail français auprès des travailleurs détachés. Le texte édicte des sanctions conséquentes pour tout manquement à ces nouvelles obligations : 2 000 € par salarié employé illégalement (plafonnement à 500 000 €). Au plan juridique, ce document s’inscrit dans le cadre de la loi Savary de 2014 qui a institué le principe de la responsabilité in fine du maître d’ouvrage. La Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) n’a pas tardé à faire savoir qu’elle regrettait cette augmentation des responsabilités des maîtres d’ouvrage. Elle rappelle que la construction d’un ouvrage résulte du concours de plusieurs acteurs et que le maître d’ouvrage n’est pas l’employeur des travailleurs détachés auprès des autres entreprises concernées par le chantier. Un trop-plein de responsabilités qui ne passe pas pour la FPI !
Sujet délicat s’il en est, la directive « travailleurs détachés » n’a pas fini de faire parler d’elle. Évoquée durant la rencontre Merkel-Macron consécutive à l’élection de ce dernier, elle devrait être au menu des prochains sommets européens. Affaire à suivre donc !